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Souvent quand nous parlons de banque privée, nous avons tendance à associer cette activité bancaire à l’immobilisme au niveau de la transformation. Or à l’ère du digital 2.0 où la transformation est omniprésente dans les organisations, les banquiers privés se retrouvent face à de nouveaux défis : comment dégager plus de temps et de budget aux banquiers privés et comment digitaliser sans perdre son âme, son image élitiste ?

L’entrée en relation ou le ticket d’entrée

Là ou toute les banques « classiques » proposent une ouverture de compte sur le web, il semble très difficile de digitaliser cette étape dans la relation clientèle privée. Le ticket d’entrée en banque privée varie selon les acteurs : minimum 75 000 € (Banque Privée Caisse d’Epargne) et 3 M€ (Banque Privée HSBC). Au regard du montant souhaité pour le premier dépôt, il semble compliqué voire impossible de digitaliser l’ouverture d’un compte en banque privée, puisque les banques dites « classiques » limitent les virements unitaires externes particuliers entre 3 000€ et 20 000€ avec service bancaire supplémentaire (clé digitale) pour certaines banques.

L’entrée en relation ou ticket d’entrée, peut être simplifié et digitalisé dans le cas où le client d’une banque classique souhaite passer en clientèle Privée. Il s’agit souvent d’une filiale de la banque « classique », et dans ce cas, de compte à compte, il n’y a pas de limite de montant pour les virements. De plus, jouer avec le montant du ticket d’entrée, à l’abaissement par exemple, comme la Société Générale, permet de faire rentrer en clientèle privée des clients « classiques » et de proposer tous les services digitaux adaptés de la banque classique à la clientèle privée.

Enfin, l’image élitiste pour la Banque Privée reste une problématique. Trop digitaliser ferait perdre son âme et sa proximité avec son banquier privé, ce qui pourrait avoir des répercussions néfastes au niveau de la clientèle. Comme pour le monde du Luxe, la digitalisation dans la Banque Privée n’a pas bonne image. Auprès de ses clients elle est considérée comme « bas de gamme » et auprès des banquiers privés eux-mêmes, elle oblige à faire face à une équation compliquée : comment mesurer les impacts de la digitalisation sur l’image et la clientèle de la banque privée ?

De part ces éléments, la banque privée reste très frileuse et donc peu moteur pour digitaliser, même si le besoin d’optimiser la fonction du banquier privé est bien réel.

Le banquier privé : irremplaçable chef d’orchestre

Au regard de l’entrée en relation avec ticket d’entrée, le banquier privé joue également un rôle primordial pour sa clientèle. Il est le point d’entrée mais aussi celui qui concentre toutes les tâches de sa clientèle. Il est l’interlocuteur unique et privilégié de son client et ce tout au long de la relation, (contrairement aux banques « classiques » dont les conseillers changent régulièrement). Son rôle de proximité, est un point différentiant majeur et constitue en grande partie l’image élitiste de la banque privée. Cette proximité reste un des « piliers » de la banque privée.

Le problème se localise donc au niveau de la concentration des tâches du banquier privé et par conséquent du temps libre dans le mois laissé au banquier privé pour prospecter et développer son portefeuille : il est estimé entre 10 % et 15 % de son temps global, ce qui est beaucoup trop faible pour développer son activité commerciale.

D’autre part, la proportion de budget allouée aux projets de développement de la banque privée reste faible puisque selon des retours clients, 60% à 70% du budget projets serait alloué à la mise en place de projets règlementaires comme par exemple rien qu’en 2018, PRIIPS, MIF 2/MIFID, DDA/IDD/DIA 2, RGPD etc….

Le défi est donc multiple : comment optimiser la fonction du banquier privé en lui dégageant du temps pour le développement de son activité, tout en continuant d’adapter les organisations aux contraintes des projets règlementaires, et en dégageant du budget et du temps pour le développement des sujets de transformation digitale.

L’ingénieur patrimoniale : l’incontournable

L’ingénieur patrimonial, est situé dans l’envers du décor, son rôle est en quelque sorte d’être « la boîte à outils » du banquier privé. Il n’est pas visible de la clientèle fortunée. Sa fonction consiste à concevoir des « produits sur mesure » à la demande du Front Office.  Sur demande des clients et donc du banquier privé, l’ingénieur patrimonial va concevoir, proposer, conseiller, et surveiller les performances des produits commercialisés.

Cette fonction avec l’essor de l’IA ouvre la porte à la transformation de la fonction. De la conception à la commercialisation, des outils innovants à destination du banquier privé peuvent être mis en place. De plus, la gestion des portefeuilles peut offrir des innovations, notamment via la Blockchain. Par exemple, proposer des produits en Bitcoins c’est le cas de plusieurs banques privées actuellement (Falcon Private Bank, Swissborg etc…). Ces nouvelles technologies pourraient embarquer certains processus, comme le transfert d’actifs, la reconduction tacite des contrats ou mandats de gestion, la conception de produits ou fonds, le suivi des performances etc…

A ce jour, d’après plusieurs acteurs du marché, il n’existe pas de robot-advisor suffisamment performant en ingénierie patrimoniale car il leur manque encore la finesse d’interprétation spécifique au métier.

Les services personnalisés ou «sur mesure» et leurs panoplies d’experts

La digitalisation des services pour les clients fortunés peut s’avérer très complexe.

La digitalisation impose l’industrialisation de certains processus administratifs ou commerciaux. Or, dans le monde de la banque privée, le cas par cas est ancré dans les pratiques commerciales. Il semble donc difficile de tout digitaliser. Néanmoins, certains processus opérationnels/commerciaux peuvent être digitalisés pour une partie et ceux-ci pourraient représenter le « tronc commun » opérationnel ou commercial d’une articulation digitale.

Le banquier privé doit être capable de répondre aux questions qui touchent l’ensemble du patrimoine. Pour l’assister et traiter les problématiques les plus pointues, toute une panoplie d’experts gravite autour de lui. Certains acteurs du marché sont même positionnés sur des placements « passions » comme les œuvres d’art, les forêts, la philanthropie etc… Le banquier privé peut s’appuyer sur les experts afin de répondre parfaitement aux attentes de ses clients sur l’ensemble du patrimoine et plus particulièrement sur les placements « passions ».

Différents mandats

Autre expert également indispensable, le gestionnaire d’actifs, qui gère les placements du client (fonds, assurances-vie en unités de compte, actions…). Mais il faut savoir que ce dernier est plus ou moins libre de ses choix d’investissement, en fonction du type de mandat de gestion. La gestion peut être libre, conseillée, pilotée etc… Et même sur ce point en fonction du patrimoine, certains mandats de gestion peuvent être complexes. Certains proposent la gestion conseillée (le gérant propose et le client décide) et/ou la gestion libre (le client est à 100 % libre de ses arbitrages). Certains établissements imposent le mandat sous gestion (par exemple chez Lazard) : le gestionnaire d’actifs a la mainmise sur les sommes confiées et fait seul les arbitrages ; le client n’a, là, aucune latitude.

Les mandats de gestion en fonction de la spécificité du patrimoine des clients, peuvent s’avérer complexes à digitaliser. Néanmoins, l’apparition de la Blockchain pourrait être une solution en termes de nouvelle technologie pour les banques privées pour digitaliser certains mandats de gestion « classiques ». La Blockchain permet également de faire automatiquement de la reconduction tacite de mandats et même du transfert d’actifs, ce qui ouvre la porte à la digitalisation de cette fonction.

Conclusion

La problématique de la banque privée est double pour accélérer sa transformation digitale. Le premier point de blocage se retrouve dans les budgets alloués au règlementaire au détriment des budgets alloués au développement. La banque privée doit se pencher sur la mise en place d’une organisation optimale ou « up to date » afin d’anticiper les changements règlementaires, par exemple, par la création d’une cellule transverse métier regroupant les différents acteurs du règlementaire, les risques, la conformité, le juridique etc…. Aussi une meilleure mobilisation des équipes permettrait de dégager du temps à plus de ressources afin de le réaffecter aux projets de transformations digitales.

Le second obstacle qu’une banque privée peut rencontrer pour digitaliser se situe au niveau du banquier privé et du temps restant dans le mois pour développer son portefeuille commercial. Dans la mise en œuvre, la réalisation d’une analyse fonctionnelle du banquier privé en listant l’ensemble des processus, tâches, sous tâches pourrait permettre d’identifier et catégoriser les tâches à plus ou moins de valeur ajoutée en fonction de leur volumétrie et qui seraient potentiellement digitalisables.

Enfin de façon plus transverse, ce diagnostic est nécessaire sur l’ensemble des fonctions de la chaîne de production pour digitaliser en gardant maîtrisés le périmètre des différentes fonctions mais aussi son niveau d’image.

 

 

 

 

 

Pierre SAULQUIN

Manager AUDAE

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